Mon hommage aux infirmières.

Voilà comment s’appelait ce soir, la vidéo d’Anne Romanov que Facebook m’a proposée de voir entre deux publicités pour candy crush.

Une diatribe sympathique, valorisante et agréable à regarder quand on appartient au corps paramédical.

C’est chouette qu’elle parle de la grève actuelle, du quotidien des soignants, voilà ce que je me suis dit sur le coup.

Et puis j’ai regardé la date de la chronique, mars de je ne sais quelle année, du réchauffé quoi.

N’y avait-il aucune autre information à partager sur la grève des paramédicaux ? Aucune actualité intéressante ? Rien qui ne vaille que l’on s’y penche ?

 

Ok, je reconnais que je suis un peu dans la paranoïa de l’infirmière persuadée que tout le monde se fiche bien de ses humeurs.

La vidéo m’a ramenée à la conversation que j’avais  eue la veille avec deux de mes anciennes étudiantes, infirmières puéricultrices.

Je sortais de la douche de ma salle de sport, entourée d’une serviette et coiffée en bataille quand je les ai entendues parler de leur matinée.

  • Oui tu sais, on a reçu un petit ce matin, un trauma.
  • Ah oui ? Répond l’autre en se séchant négligemment les jambes
  • Le fémur était complètement brisé, et en plus il avait un gros trauma crânien avec une hémorragie méningée... reprends la première en mettant son pantalon.
  • Ouais je vois, moi l’autre fois, le cerveau sortait carrément par le nez..
  • Tu te rends compte, le Chir m’appelle pour me dire qu’il arrive dans 15 minutes, juste le temps de préparer le box, un peu d’adré.. Tiens passemoi la brosse.
  • Le SAMU fait ça aussi, au fait tu as tes congés ? pour cet été ?
  • Non, ma cadre m’a dit qu’elle me dirait ça début aout
  • Comment tu vas faire avec tes enfants ? Au fait, t’as déjà fait une prise de pression crânienne ? Avec la chignole et tout ? reprends l’autre
  • Euh oui, tu prépares les compresses… si ça saigne trop, je te conseille de …

C’est à ce moment-là que je passe la tête à travers la cabine de rhabillage pour dire en riant 

  • Bon appétit les filles !

 

Elles sont mignonnes à parler de tout cela entre deux passages de crème hydratante, cela me rappelle ma jeunesse, et puis je les ai eues comme étudiantes et les ai accompagnés, je m’y suis attachée que voulez-vous…
Nous commençons à discuter de leur travail, elles sont gênées de la conversations qu’elles ont eu, elles ont peur d’avoir choqué tout le vestiaire.

J’essaie de les rassurer comme je le peux, en essayant de resserrer ma serviette de bain qui semble avoir envie de tomber et de garder un peu de dignité.

Ce n’est pas le moment pour discuter mais elles s’ouvrent à moi et me confient vouloir essayer de quitter l’hôpital dans un murmure .

Elles disent cela comme une excuse, comme si elles avaient trahi quelqu’un.

Infirmière est donc un état, pas un métier semble-t-il. Un alcoolique reste alcoolique, un fumeur aussi. Cela fait 8 ans que j’ai arrêté et je vous prie de croire que le jour où je suis admise en maison de retraire, plus rien à faire, j’achète un paquet de Marlboro ( enfin, si j’ai l’argent, vu le prix des deux !).

Je suis passée par là, par cette envie inexorable de travailler en réanimation où l’on a l’impression de toucher à l’essence de la vie, à des choses tellement profondes.

Tant de bouts de vie que l’on croise, que l’on accompagne, que l’on pleure parfois, qui nous font vibrer. Et puis cette sensation de faire quelque chose d’altruiste, de bien, de fort aussi, de courageux.

Difficile de passer a autre chose après, de se replonger dans la superficialité de la vie quotidienne.

Nous parlons des enfants qu’elles ont eu depuis que nous ne nous sommes pas vues et de leur volonté à avoir une vie de famille a peu près normale avec des horaires en journée.

Elles me confient leurs difficultés, travailler le week end , ne pas connaitre son planning pour des raisons de service minimum, être réquisitionné quasiment tous les jours en ce moment, rester parfois les nuits, ne pas connaitre ses dates de vacances à l’avance. Tout cela en plus de la difficulté de ce travail : « parfois je me sens monstrueuse, cela m’est plus difficile de supporter mes conditions de travail que de voir des enfants mourir, ce n’est pas humain non ? 

On a l’impression qu’il n’y a pas de droit du travail, moi on m’a dit qu’on me dirait au début de mes vacances, à combien de semaines j’aurai droit et je ne sais pas encore quand j’aurai un week-end.. »

Les filles se questionnent, hésitent à partir, choisir ses propres enfants ou ceux des autres ?

 

Je me mets à réfléchir à ce choix qu’au final on leur demande de faire : quitter leur réanimation pédiatrique ou ne pas voir grandir leurs propres enfants.

Je vois bien qu’elles aiment leur travail, ces familles et ces enfants qu’elles accompagnent, mais doivent -elle tout abandonner pour autant ? 

Est-ce que l’on est absolument corvéable et dévouée sous prétexte que l’on fait un métier d’aide ? Ne peut-on pas considérer cela comme un réel métier ? 

Avec ses devoirs bien sûr mais aussi ses droits ?

 

Je connais bien l’historique du métier : les premières collerettes mi bonnes sœur, mi prostitués qui devaient soigner les malades dans les hospices.

Les une condamnées à n’obéir qu’à un seul homme les autres à expier le fait d’avoir obéi à beaucoup plus…

J’ai bien saisi tout cela, l’ordre de Saint Jean de Dieu et caetera, j’ai même lu quelques bouquins pour mieux relativiser ce manque de reconnaissance qui m’était difficile lorsque j’ai commencé.

Ne vous y méprenez pas, on reconnait facilement que le métier est difficile, que vous tenez la main des mourant, que les enfants malades « oh !!! c’est atrooooce ». 

Ce que l’on ne reconnait pas c’est que vous êtes compétente, réfléchie, efficace, et même, soyons fou, intelligente.

Pas juste une exécutante, maternante et douce qui aurait envie de faire un peu de bénévolat et de s’occuper des enfants malades, un pompon rose au bout du stylo.

Je me souviens de cette fois ou alors que je me plaignais de mon salaire et le comparais à celui de ma sœur, professeur des écoles, ma mère m’a gentiment tapoté ma main : « mais enfin, elle enseigne, elle a fait des études, c’est normal qu’elle gagne plus que toi ».

Allez, va pour 10 ans de thérapie .. !

C’était dit si gentiment, avec tact, pour me rassurer, bienveillant quoi.

Est-ce que j’avais le droit de dire que je ne trouvai pas normal qu’à l’hôpital une infirmière commence à 1400 euros par mois ?

 

Alors voilà, j’ai travaillé comme femme de ménage, comme aide-soignante, comme infirmière, comme puéricultrice, comme cadre d’un service de réanimation, comme formatrice pour les infirmiers, les puéricultrices, les auxiliaires, les aides-soignantes.

J’ai été directeur d’un petit centre et aujourd’hui je me destine, si je trouve un financement (si vous connaissez des mécènes, c’est le moment) à coacher, accompagner et aider les soignants pour essayer de valoriser leur travail, au moins à travers leurs propres yeux.

Bizarrement, je me sens toujours être cette petite aide-soignante, désireuse d’entamer ses études d’infirmière et d’être enfin reconnue dans son travail.

 

A bientôt pour de nouvelles non aventures.

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