Il l’a frappée.

Enfin, je crois, je pense qu’il l’a frappée. Parce qu’il y a frapper et Frapper et qu’entre les deux, elle ne sait pas comment faire la différence.

Dans le premier cas, c’est un peu comme à la télévision : le personnage frappe la femme à terre devant le regard médusé de ses enfants et là, le temps suspend son vol. 

La musique de fond devient douce et mélancolique, la scène est tournée au ralenti. Le regard du spublic passe de la stupéfaction à la colère, le père a un rictus que l’on ne peut que haïr tant il est laid, l’entourage si tant est qu’il y en ait un, reste atterré.

Tous ces éléments permettent de comprendre que cet acte violent est lourd de sens, que cela ne se fait pas : cette femme-là est innocente, aimable, belle, pure.

Et finalement, le fait que la scène la rende victime ne fait que renforcer le sentiment d’affection que l’on peut lui porter et elle finit elle-même par comprendre qu’elle ne mérite pas cela. 

 

Dans sa vie à elle, dans sa vie de « Louise », cela ne se passe pas tout à fait comme cela.

Aujourd’hui son mari a levé la main sur elle comme on sale une viande trop fade, au milieu du repas, entre la salade et le dessert « passe-moi le pain chérie » lui a-t-il demandé.

Il a le visage penché, occupée à observer la sauce qui coule le long des feuilles vertes au fond de son assiette : est ce qu’il n’en a pas trop mis ? Il éprouve en vieillissant des difficultés à digérer le gras.

Il l’a frappée parce qu’elle respire trop fort, c’est dégoutant n’est -ce pas ? entendre à table les bruits respiratoires d’une épouse maladroite qui peut bien supporter cela ?

Louise se sent vieille, empruntée, gauche. Elle écoute son souffle qui sort de sa bouche comme un ouragan, cette chaleur qui coule dans sa gorge devient sale, bruyante, malsaine. C’est vrai qu’elle respire fort trouve-t-elle, elle-même ne se supporterait pas. Elle essaie de se concentrer, de donner un peu de douceur à ce mouvement de vie qui entre et sort par ses narines : pas moyen, elle n’entend bientôt plus que ce râle sibilant, cette vie qui s’obstine, qui refuse d’être discrète, qui occupe toute la place. Bientôt la honte l’envahit et elle n’entend plus que cela : l’air qui entre et sort de son corps comme une âme qui se dégonfle.

 

Chez elle on est loin d’un film télévisé, il n’y aura pas ici de musique, pas d’innocence, pas de public stupéfié.

Elle ne me sent pas victime, la haine qui monte le long de sa colonne vertébrale la rend plutôt bourreau. Elle les hait, elle se hait, elle a envie de mourir. Arrêter de respirer tiens, juste pour voir ce que cela pourrait faire. Le silence, le calme, les larmes de ceux qui montrent au moins cette fois-là qu’ils l’ont aimée : dans les cimetières, c’est bien connu, il n’y a plus que des saints n’est-ce pas ?

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