Le train file alors que je rêvasse à la journée qui s’annonce : un tournage dans une société de média sur Paris, une journée de training et de formation face caméra.

On a beau être en 2019, je me sens être une provinciale se rendant à la capitale.

Je sais, je sais, rien à voir avec Jean Moulin qui tente de sauver la nation, mais quand même : dans ma petite vie à moi, l’évènement a son importance.

Tentée de regarder quelques épisodes de Netflix, je me penche dans un élan de dynamisme pour sortir mon vieux stylo : je n’ai écrit qu’une seule chronique, une deuxième de secours me semble opportune.

La première est plutôt larmoyante, empathique, voyons voir, que faire pour la seconde ? 

Entre deux recherches d’emploi, les enfants, les révisions du Master et ma procrastination, je n’ai pas vraiment réfléchi a un sujet de prédilection.

De quoi parler ?

Nous sommes en octobre, je m’adresse aux professions de la petite enfance…quelle est l’actualité ?

Je balaie vite cette idée : lorsque j’essaie de faire atendance, je me plante toujours et au final mes articles ne sont pas très lus.

Il faut dire que je devrai compulser avant ce qui a déjà été écrit pour ne pas faire redondance, je ne le fais pas et c’est bien dommage.

J’ai un petit secret aussi : j’aime aller voir combien j’ai eu de likes ou de partages, si les commentaires sont plutôt positifs ou non, si mes sujets ont atteint leurs cibles.

Après tout, l’activité est bénévole, j’ai besoin d‘en retirer au mieux, la satisfaction d’avoir été comprise, d’avoir réussi à capter ce dont les lecteurs ont besoin. 

Depuis quelque temps j’étudie le coaching et j’essaie désespérément d’écrire des papiers galvanisants, mais j’ai parfois du mal à traduire ma pensée.

Avant de me lancer dans ce second sujet j’envoie vite un mail à la responsable de mes chroniques : quelle longueur et combien de temps ? 

Je ne sais pas réellement à quoi m’attendre, je dois m’entrainer à tourner des vidéos pour une chaine de médias qui voit le jour. On est loin d’un audimat extrême mais on est sur du contenu destiné à des professionnels.

Je dois être souple et détendue, rythmée mais profonde, facile quoi !

La réponse au mail ne tarde pas, « trois minutes pas plus ».

Et M… je n’avais pas prévu.

Finalement je décide de parler justement des entretiens d’embauche en essayant de me mettre au niveau de mes interlocuteurs (faut-il vraiment être au-dessus pour être directeur ?) et avec humour.

Je bidouille mes deux chroniques, je m’entraine à parler, je me chronomètre tandis que les rails défilent.

 

En arrivant sur paris je constate que mon chargeur est défectueux, il me reste 10% de batterie, c’est une catastrophe.

Je sens monter en moi cette chère adrénaline, comment faire pour me rendre dans la ville voisine, sortir du métro et marcher jusqu’à la société sans GPS ?

Je griffonne sur bout de papier (merci à mon fils pour ce petit dessin portebohneurmaman) les métros à prendre, je note au passage que je suis carrément en retard ( ils ont avancé le tournage après que j’ai pris mon billet non échangeable et cheap) et j’éteins mon téléphone pour le préserver.

Avec un peu de change, il se rallumera pour les derniers mètres en GPS, sinon, et bien … Aie Je n’ai pas eu la présence d’esprit de noter le numéro de téléphone de l’organisatrice.

J’entends d’ici ma mère me seriner de ses vous les jeunes sans votre technologie vous n’êtes plus rien et je décide de positiver en me pensant justement jeune et en observant les gens dans le métro.

C’est évident :  ils me ramènent à ma grenouille dans l’eau chaude. Essayez de la jeter dans de l’eau bouillante et elle s’échappera, mettez là dans de l’eau froide que vous faites chauffer au fur et à mesure et elle restera là jusqu’à bruler vive.

Cette image me frappe d’autant plus que le temps est pluvieux, l’air est vicié, les gens peu souriants, le teint plutôt pale : mais comment font-ils pour vivre ici ?

Je me sens à nouveau provinciale et finalement j’aime assez cela, je pense à mon paddle pour me réconforter.

Au final, mon téléphone s’allume en bout de parcours, je cours jusqu’au tournage, j’entre enfin dans un univers … parallèle.

 

Un grand sourire, l’accent qui chante, c’est tout ce qu’ils ont besoin de savoir.

Je dis bonjour, m’excuse pour le retard.

Très rapidement je me rends compte qu’il n’y a pas de training : on est là pour tourner.

J’essaie de comprendre qui est qui, qui fait quoi.

Le metteur en scène se distingue tout de suite, les moins de 25 doivent être des techniciens, des monteurs.

Il y a là deux organisatrices qui semblent se connaitre.

Tout le monde est affable mais sur la réserve, souriant mais peu chaleureux. 

La plus coquette et radieuse se présente comme maquilleuse, je prends sur mes préjugés pour attribuer un rôle à chacun.

Celui-ci se promène comme s’il était chez lui et a plus de cinquante ans : il doit avoir créé la société de médias.

Celui-là n’arrive pas à schématiser sa pensée mais il est traité avec tact malgré sa logorrhée : un universitaire ?

Cette autre semble aussi mal à l’aise que moi : une chroniqueuse bénévole ?

 

La maquilleuse est charmante, nous parlons de tout et de rien, des enfants surtout.

J’essaie de faire fi du stress des autres, si je m’approche d’eux trop près, je vais me laisser contaminer.

L’une manque de confiance, l’autre habitué à briller n’est plus du tout dans son élément et semble ne pas arriver à s’adapter.

Ils ont tous deux besoin d’un interviewer pour réaliser leur chronique, je comprends que je n’en aurai pas, il faut varier cette première prise.

Au bout d’un temps qui me parait long, je me retrouve face caméra et j’ai trois minutes : enjoy Mapetite c’est Ton moment !

 

Le compte à rebours est lancé, 9..8..7..6..5..4..

Il faut faire ensuite les trois deux undans sa tête et se présenter me dit-on. 

Je parle à la caméra alors que j’essaie en même temps de penser à tout : n’oublie pas de dire qui tu es, en qualité de quoi tu parles, à qui tu t’adresses.

C’est parti pour un marathon intérieur : utilise les bons mots, souris, affirme, sois convaincante. C’est tout moi ça non ?

Le metteur en scène se distingue encore tout de suite du reste du plateau.

Ce gars-là comprends ce que l’on veut dire à notre place et devine nos besoins.

Exactement ce que je souhaiterai acquérir avec mon maudit coaching mais il le fait si bien !

Il sait poser un mot discret avec tact, donner une impression de complicité. Un peu comme s’il avait compris un truc sur cette terre auquel nous n’avons pas eu accès, et avec du second degré en plus.

Il m’explique que la télé c’est de la politique, je dois être là comme si je détenais une vérité, en l’affirmant, en partant du principe que c’est juste…comme ça.

J’aurai aimé avoir plus de temps, plus de prises pour faire mieux.

Chaque fois, je note que j’aurai pu sourire, dire plutôt ceci, exprimer mieux cela.

C’est plus difficile que l’écriture où l’on peut corriger à loisir, je suis déçue de ne pas apprendre plus vite.

J’ai compris ce que l’on attend de moi, j’aimerai pouvoir plus m’entrainer. Je ne m’attendais pas à cela, j’étais partie pour une journée de formation.

Parler à la caméra s’avère épuisant, je voudrai faire une pause, recommencer, intérioriser les conseils.

 

Est-ce que ce que l’on dit importe au final ?

Ne faut-il pas combiner divers éléments pour être entendu ?

Il y a la parole noble : en cela, Nicolas Hulot l’a bien compris ;

Au bon endroit : mettez Zunkenberg a une marche contre le gaz de schiste, je ne suis pas certaine que cela passera ;

Au bon moment : Gréta Thunberg n’en est-elle pas la preuve ?

 

Lorsque je peine à exprimer mes idées, le metteur en scène me propose avec justesse des phrases plus explicites.

D’habitude je ne suis jamais d’accord avec ce que disent les gens : ce ne sont pas les bons mots, ce n’était pas tout à fait cela : après tout la langue française est faite de milliers de variantes, c’est bien pour une raison valable non ?

Mais avec lui c’est différent.

Comment fait-il pour exprimer les mêmes choses mais de manière plus percutante ? 

 

La journée se finit comme elle a commencé : dans le flou.

Je ne sais pas vraiment quand ce film sera prêt, de quelle manière il sera vu mais c’était une belle expérience.

Plus je vieillis plus les occasions de découvrir des choses complètement nouvelles se raréfient.

J’ai entrevu un autre milieu professionnel, d’autres codes, d’autres manières de réfléchir, et rien que pour cela, j’ai adoré.

Celui qui ose vous dire aujourd’hui qu’il n’apprend pas, à l’aube où la connaissance de soi surpasse tout, se fait rare. 

Par contre, le stress retombé me donne l’impression que j’ai couru un semi-marathon.

Le train qui me ramène me laisse rêveuse : pouvoir parler à de nombreuses personnes à la fois est tellement grisant.

Ce qui m’a le plus touchée c’est cette possibilité d’être aussi une autre personne, un peu comme lorsque j’invente des personnages dans mes écrits :  il y a un peu de moi dans chacun et à la fin un peu de chacun aussi en moi.

 

 

Retour à l'accueil